Le Brochet
(Esox lucius, famille des ésocidés)
Description : Le brochet est présent dans presque toutes les eaux douces françaises
et parfois dans les eaux légèrement saumâtres. Son aire de dispersion
naturelle s'étend à toute l'Europe.
Le corps du brochet est allongé en forme de fuseau. Sa perfection
hydrodynamique et la position rejetée en arrière de la dorsale et de
l'anale, à la façon d'un empennage de flèche, révèlent l'aptitude du
poisson aux attaques fulgurantes. La tête se termine par un museau
aplati évoquant un bec de canard. La mâchoire inférieure est prognathe,
la bouche largement fendue, armée de 700 dents implantées sur les
mâchoires, la voûte et le plancher de la gueule. La tête est semée de
37 pores sensitifs de même nature et ayant la même fonction que la
ligne latérale. Les yeux, situés vers le sommet du crâne, permettent
l'observation vers le haut. On trouve des brochets de forme courte
(petite tête, corps massif et court), qui caractérise en général les
poissons des eaux calmes et riches en nourriture, et les brochets de
forme longue (tête grosse, corps allongé et nerveux), typique des
poissons de pleine eau courante.
Reproduction : La reproduction des brochets s'effectue lorsque la température de l'eau
se situe entre 9 et 11°C. Mâles et femelles convergent vers les lieux
de frai. Les géniteurs remontent jusque dans les fossés remplis d'eau,
ou recherchent les parties les moins profondes d'une pièce d'eau. Les
femelles, selon leur poids, peuvent pondre jusqu'à plusieurs centaines
de millier d'œufs jaunes orangés, de 1 mm de diamètre qu'elles déposent
à faible profondeur, parmi les joncs et autres plantes aquatiques. Ces
œufs sont fécondés par plusieurs mâles, en général plus petits que la
femelle. L'éclosion a lieu dans les 15 à 20 jours qui suivent. La larve
demeure attachée à la végétation en position verticale, vésicule
résorbée ; dès qu'il prend une position horizontale, le brocheton se
met en quête de proies : zooplancton au début, ensuite petites larves,
puis alevins de toutes espèces, y compris les congénères. Le
cannibalisme est un problème en ésociculture. La croissance du brochet
est rapide en milieu favorable, surtout pendant les premières années.
Le jeune brochet se nomme brocheton, carreau, lanceron, sifflet, manche
de couteau…
Nourriture : Le brochet est un poisson carnassier. Il se trouve placé à l'extrémité
d'une chaîne alimentaire biologique, où il joue un double rôle :
assurer la continuité de l'espèce et participer à l'équilibre de son
biotope.
Un brocheton, dans sa première année, prélève une moyenne de 15 à 17%
de son poids sur le zooplancton, et seulement 10 à 12% si sa nourriture
se compose exclusivement de petits poissons. Dans sa deuxième année, il
se nourrit de 10% de son poids de larves aquatiques et de 3 à 5% de
poissons. Par la suite, ses périodes d'appétence, pendant lesquelles il
peut absorber des proies atteignant le tiers de son propre poids, sont
séparées par plusieurs jours d'inappétence. Dans des conditions
moyennes, il faut au brochet 4 à 6 kg de poisson fourrage pour un gain
de 1 kg..
Pour bien saisir le mécanisme de la chaîne alimentaire biologique, et
voir que le brochet en constitue un maillon indispensable, prenons
l'exemple du gardon et de la perche, qui dans les plans d'eau où les
trois espèces cohabitent, constituent de 60 à 80% de la nourriture du
brochet. Les données moyennes sont les suivantes :
- brochet : frai en février-mars ; pouvoir de reproduction relativement faible ; cannibalisme ; grand carnassier.
- perche : frai en mars-avril ; fort pouvoir de reproduction ; cannibalisme ; petit carnassier.
- gardon : frai en mai-juin ; très fort pouvoir de reproduction ; non carnassier.
Il apparaît clairement que l'échelonnement des périodes de frai permet
aux jeunes brochets de limiter la densité des alevins de perches, dont
la sur densité constituerait un danger pour la population en gardons
naissant après eux. Par contre, ces derniers sont eux-mêmes
efficacement limités par les perches, sinon, leur excès entraînerait
une inéluctable dégradation du biotope dans sa capacité biogénique. Par
ailleurs, on note l'accroissement du pouvoir de reproduction des
espèces placées en situation de proie et le cannibalisme qui intervient
comme un ultime moyen d'autolimitation, bien qu'il ne soit pas
suffisant pour empêcher radicalement un peuplement pléthorique
conduisant à un nanisme de l'espèce.
A propos de ce poisson, il convient de s'en tenir à une observation
objective et se garder des idées reçues et des interprétations
anthropomorphiques et moralistes.
Tout cela étant entendu et admis, comment est-il possible de continuer
à voir dans le brochet un ravageur qu'il faut détruire avec acharnement
pour qu'il ne fasse pas disparaître les autres espèces, alors qu'il
joue un rôle déterminant dans leur survie ? Et encore convient-il bien
de garder à l'esprit le fait que le brochet est le principal agent de
la sélection naturelle, qui permet aux souches spécifiques de demeurer
saines et vigoureuses, puisqu'il ne parvient à attraper, la plupart du
temps, que les sujets les moins aptes, les poissons malades ou blessés,
les parasités, les mal-venus, etc.