frai et crue
Il fut un temps où le premier janvier était attendu avec impatience, car c’était l’ouverture de la pêche. Au douzième coup de minuit, appâts et leurres étaient lancés depuis les ponts de la ville enjambant le Rhône et l’Arve. Alors que les bouchons de champagne sautaient, les mirlitons au son nasillard se déroulaient à chaque insufflation, les serpentins volaient, accompagnant une pluie de confettis. Sept heures plus tard, les lignes pouvaient être jetées en tous lieux de ces deux cours d’eau. Deux ouvertures en une demi-journée et neuf semaines plus tard, sonnait l’ouverture de toutes les autres rivières du canton.
Aujourd’hui, il en reste deux au mois de mars à une semaine d’intervalle et c’est serein que je les vois venir. Pour le rituel, j’effectue quelques lancers dans la journée. Les jours tant attendus sont bien différents. L’approche de l’hiver me rend fébrile, je parcours les berges, mon regard perce la couche liquide, je cherche ces zones caractéristiques, trahies par le gravier fraîchement retourné qui redessine le fond avec une dépression à l’amont et un monticule quelques décimètres en aval, dessin spécifique du frai.
Les semaines qui suivent se passent au dénombrement, à la mesure de la frayère et à situer spatialement ces espaces dédiés à la procréation. Occupées à transmettre la vie, les truites sont peu farouches et à chaque occasion j’en profite pour les contempler. En jouant des proportions et d’une règle de trois, j’effectue la mesure de la taille. Le plus grand spécimen est un bécard d’environ nonante-cinq centimètres et de couleur aquilain.
Je suis plein d’estime pour les femelles. Elles remuent des surfaces impressionnantes de cailloux de belle taille et ce sans outils. Il y a, hélas, ces belles lacustres qui ne retourneront pas au lac, mortes d’épuisement, piégées lors de leur retour par les grilles des mini-centrales électriques, écrasées par le dégrilleur de ces producteurs d’énergie.
Dire que l’on ose écrire que c’est une production d'énergie électrique respectueuse de l'environnement (sic) SIL , qu’elle emprunte l’eau des fleuves et des rivières qu’elle restitue intégralement sans aucune altération, faisant d’elle l’énergie au bilan écologique le plus favorable sic FMV ou L’énergie électrique la plus écologique. Elle est approvisionnée à partir d’énergie hydraulique écologique (sic) SIG et je suis persuadé que l’on peut encore trouver de nombreuses perles de ce genre.
Bien que la période de reproduction ne soit pas terminée, je suis déjà dans l’attente de voir apparaître les premières truitelles. Les pluies de ces jours, mettent les rivières en crues et ne font qu’exacerber l’angoissante crainte de ne pas voir, à mi-avril, la nouvelle génération.
Il me semble entendre mon père, par un jour pluvieux, me dire « pour que la Versoix trouble, il faut trois jours de forte pluie. Il faut bien comprendre que les marais font tampon ».
Aujourd’hui, quelques heures suffisent, les surfaces couvertes par les routes et les bâtiments, les zones agricoles drainées empêchent la terre de faire son travail de stockage et de filtrage de l’eau. Les modifications climatiques contribuent certainement au décalage des crues en hiver et aux longues périodes d’étiage estivales.