Habitant l’Est de la France, âgé aujourd’hui de soixante deux ans, je suis propriétaire de deux étangs depuis près de trente ans. Je ne suis pas chasseur, et n’ai jamais été condamné pour quelque motif que ce soit.
Le 19 novembre 2012, je me suis rendu sur ma propriété avec mon petit chien. Le temps était magnifique et j’ai laissé ma voiture avant le chemin forestier pour m’y rendre à pied. Naturellement, j’y laissai mes papiers, dont je ne pensais pas avoir besoin.
Une heure plus tard, j’étais sur le point de partir lorsque mon chien s’est mis à aboyer, m’avertissant de l’arrivée de deux individus à l’entrée de mon terrain. M’approchant, je découvris qu’il s’agissait de deux agents de l’Office National de la Faune Sauvage, qui déclinèrent leur identité et me demandèrent s’ils pouvaient voir ma propriété.
Spontanément, je les ai accueillis aimablement et leur ai ouvert ma porte, leur proposant de les accompagner dans leur visite. D’un naturel sociable, je n’imaginais pas ce qui allait m’arriver.
Nous n’avions fait que quelques mètres lorsque les agents de l’ONFS se sont dirigés directement vers mon grillage, duquel pendait du fil à lier roulé en boucle. Ils m’ont alors demandé de le retirer, ce que j’ai immédiatement fait. Ils l’ont pris en photo. C’était, selon eux, un collet. Or, un collet est un outil de piégeage spécifique, duquel l’animal ne peut se retirer une fois qu’il s’y est engagé. Mon fil à lier enroulé ne peut pas se resserrer, et un animal qui y mettrait le cou n’aurait aucun mal à s’en dégager. N’ignorant pas que le collet est un outil formellement interdit, et un peu étonné par la réaction des agents, j’ai tout de même su garder mon sang froid et ai continué à leur faire la visite, pensant pouvoir m’expliquer à la fin.
Arrivés à proximité du petit chalet et de la cabane à outils que j’ai construit devant mes étangs, les agents m’ont demandé si j’avais d’autres pièges. Je leur ai indiqué que je disposais d’une cage destinée à prendre les ragondins et les rats musqués, piège dont la possession est parfaitement légale, et qui d’ailleurs était rangé dans ma cabane ce jour-là. Je leur ai montré la cage, et ils m’ont dit qu’elle allait m’être confisquée. J’ai été très étonné par cette réaction, n’en voyant pas la raison. J’ai refusé de leur remettre ma cage et l’ai remise là où je l’avais retirée : dans ma cabane à outils. C’est alors que le ton est peu à peu monté. Je reconnais m’être emporté, mais je me suis senti agressé, traité comme un malfrat, alors même que je les avais laissés entrer chez moi.
C’est alors qu’ils m’ont demandé mes papiers qui, comme indiqué plus haut, étaient restés dans ma voiture. Ils m’ont dit de les suivre, ce que j’ai refusé, puis de les rejoindre à la gendarmerie, ce que j’ai refusé aussi. Finalement, j’ai accepté de venir plus tard dans la journée dans les locaux de l’ONFS, accompagné d’un proche. En effet, me sentir ainsi attaqué sur ma propriété m’avait profondément troublé, et je ne voulais pas revoir les agents sans être accompagné d’un témoin.
Environ deux heures plus tard, je me suis comme convenu rendu dans leurs locaux. Le ton n’a pas été plus aimable de part et d’autre, et ils me traitaient toujours comme le pire des contrevenants. J’ai refusé de signer le document qui affirmait que j’avais un collet sur mon terrain, puisque ce n’était pas le cas.
Le 28 décembre 2012, j’ai été convoqué au commissariat entre noël et nouvel an, pour faire une déposition, à un moment où, on s’en doutera, je n’étais pas disposé à me rappeler cet évènement.
Quoiqu’il en soit, l’affaire à suivi son cours. N’étant pas un homme de loi, j’ai pris un avocat pour me conseiller en attendant mon passage au tribunal. Pour un homme de mon âge, qui n’avait jamais connu aucun démêlé avec la justice, se retrouver sur le banc des accusés d’un tribunal de grande instance est une expérience traumatisante, et d’autant moins compréhensible au regard des faits qui me sont reprochés.
Mon audience a eu lieu le 3 mars 2013. Après la plaidoirie de l’avocat de la partie civile (composée des deux agents de l’ONFS), le juge m’a demandé si j’avais quelque chose à dire. Faisant confiance en mon avocat, j’ai déclaré n’avoir rien à dire. C’est alors que l’avocate de la partie civile a eu cette réflexion dont la sottise m’a laissé pantois : « Il n’a rien à dire, c’est donc qu’il est coupable ». Je n’imaginais pas qu’un juriste puisse se laisser aller à pareil sophisme, comme si le silence d’un homme impressionné par le cadre imposant de la justice, hébété par les dimensions que prenaient le règlement d’une affaire aux origines insignifiantes, puisse constituer une preuve irréfutable de sa culpabilité.
Après la plaidoirie de mon avocat, et sans s’être retiré, comme si tout avait été prévu, le juge m’a déclaré coupable de tous les faits qui m’étaient reproché, et m’a donné des amendes qui, cumulées, s’élevaient à quatre mille euros, frais d‘avocat compris. Qui plus est, j’ai été déchu de mes droits civiques pour une durée de quatre ans, sanction particulièrement cruelle pour quelqu’un qui a toujours voté.
Retraité depuis 2007, ne roulant pas sur l’or, on imagine le choc qu’a été pour moi l’énoncé d’une telle somme. Je me suis rendu au cabinet de mon avocat immédiatement après le procès, pour lui demandé quelles étaient les modalités du lancement d’une procédure d’appel. Il ne m’a pas répondu, éludant la question. Les jours suivants, je me suis rendu à plusieurs reprises à son cabinet, sans obtenir plus de réponses concernant l‘appel. Rendez-vous a finalement été pris le 18 mars. Ce jour-là, un coup de fil m’apprenait que mon rendez-vous était reporté à la fin d’après-midi du 20 mars… date à laquelle j’ai enfin eu une réponse à ma question : le délai pour lancer une procédure d’appel était dépassé (cela aurait encore été possible le 18).
Vivant dans une petite ville, j’ai à partir de ce moment eu le sentiment d’une connivence un peu trop marquée entre la justice et la police dans l’affaire qui me concerne, comme si j’avais été condamné d’avance, sans qu’il me soit permis de me défendre.
Pour une un bout de fil à lier pris pour un collet, et pour m’être un peu emporté, j’ai été traduit devant un tribunal de grande instance, sanctionné par une forte amende et par la perte de mes droits civiques. Plus encore que la perte financière que cela représente, c’est le sentiment d’injustice qui m’a le plus accablé. Si j’avais commis un vrai délit, j’aurais payé mon amende sans en concevoir plus d’amertume, mais me voir ainsi traité comme un criminel pour des broutilles m’a causé un préjudice moral tel que j’ai dû consulter un psychiatre.
Mon affaire a été jugée, et il n’y a plus de voie de recours possible. Mais raconter mon histoire est le moyen pour moi de la rendre plus supportable, et d’avertir ceux qui me liront peut-être et qui possèdent un terrain en campagne, qu’il leur faut agir avec la plus grande circonspection avec les représentants de l’ONFS, et que, pour un bout de fil de fer de trente centimètres, ont peut vous pourrir la vie et vous mettre… la main au collet.