Le samouraï du lac

C'était il y a trois ans et demi, mais le temps n'efface pas un tel souvenir.

Nous venions de faire près de 6h de route pour relier Perpignan, d'où vient mon cousin, Pierre, à Semur-en-Auxois, lieu d'une maison familiale. Cela faisait 2 semaines que je lui démontrais les plaisirs de la pêche en lac, dans ma belle région qu'est la Bourgogne (lui étant habitué à la pêche en mer).

A peine le moteur arrêté, les valises déchargées, et nos tenues changées, j'emmenais Pierre en direction du lac. Nous n'avions même pas 5 minutes de marche à faire pour rejoindre mon coin de pêche favori, il était 18h30 environ.

J'avais confié à mon cousin une vieille canne qui appartenait à notre grand-père, une canne rigide et solide, adaptée aux carnassiers. Nous savions que nous n'avions que peut de temps pour lancer avant de devoir rentrer et aider à préparer le repas. Il fallait faire vite.

Pierre monta un spinner rouge, il lança à gauche du spot, dans un endroit dégagé, mais proche d'un arbre : quelques chasses légères eurent lieu. Il insista, mais sans succès, les poissons n'étaient pas enclins à se laisser prendre ! Pour ma part, je misai sur un autre type d'appât : il faisait assez sombre malgré la lumière encore présente du soleil, et l'eau était plutôt trouble. Je décidai alors de prendre ma cuillère favorite : une taille 5 multicolore, tournante, attachée sur une bas de ligne acier monté sur ma canne carbone de 210cm. Un vrai plaisir de pêcher avec ce matériel.

Une fois ma ligne montée, je lançai à droite, vers des algues, à l'opposé de mon cousin. Je remontai une première fois sans rien au bout du fil, mais j'insistai.
Au deuxième lancer, une touche violente eu lieu, mais mon ferrage fut maladroit, n'étant qu'un néophyte, et ma cuillère me revint une fois sans proie. Mais une chose était sûre : le prédateur qui m'avait attaqué était énervé ce soir là.

Je tentai alors un dernier lancer, le temps pressant, à une dizaine de mètres de notre ponton. Mon appât se retrouva exactement à l'endroit de la touche précédente. Pierre me regardait.

Au premier tour de moulinet, c'était parti. Mon fil glissait, le frein criait, et la canne s'abaissait. Je n'avais jamais vu une telle attaque auparavant, c'était impressionnant, presque effrayant. Qu'est-ce que ça pouvait être avec une telle puissance ? Une perche pour la vivacité ? Un silure pour le poids ? Aucune idée, il fallait que je sorte la bête pour en avoir le cœur net !

Le combat commençait.
Le monstre reculait, tirait de toutes ses forces. Bien heureux étais-je, d'avoir monté un bas de ligne acier, car un simple nylon aurait sûrement été sectionné par les dents de la bête. Le combat dura plus de 10 minutes : le poisson s'énervait, allait à gauche, à droite, tirait, se relâchait, recommençait. Mes bras tiraient, mes muscles étaient contractés, je commençais même à douter de ma capacité à sortir ma proie.

Néanmoins, je n'étais pas le seul à me fatiguer. Le poisson commençait à perdre ses forces, il essaya de se cacher dans les algues, de se caler au fond pour ne pas être sorti de l'eau, mais c'était trop tard. J'étais plus que motivé, et Pierre me poussait de toutes ses forces. C'était la fin.

Je débutai la dernière étape du combat, montant ma gaule, moulinant, remontant, et ainsi de suite. C'est alors que je vis le bec de ma proie : un brochet ! Je n'aurais jamais pu penser que cette espèce pourrait tant me poser de problème... Il avait été parfaitement piqué dans le bas de la gueule.
Nous lui enlevâmes le hameçon sans souci, sortîmes le mètre, le pèse-poisson : 72cm pour 5,2 kilos.

Bien entendu, il n'étais pas question de tuer un tel adversaire ! Je repris mon proie, la glissa délicatement dans l'eau, prêt à l'accompagner dans sa remise en liberté, mais je n'eu presque rien à faire : il avait encore finalement des forces.

Peut-être s'était-il laissé attraper par respect pour son prédateur, tel un samouraï acceptant la défaite face à un adversaire plus puissant que lui.
Bref, un excellent moment, et une belle première pêche avec mon cousin, et des souvenirs plein la tête.

Merci pour ce beau récit.

Je suis juste étonné par la durée du combat. Plus de 10 minutes pour un brochet ça me paraît beaucoup ; même 5 minutes, c'est exceptionnel.
Le brochet est très vif, mais peu résistant ; c'est un sprinter, pas un coureur de fond.
Mon brochet record qui mesurait 1,02 mètre n'a pas combattu plus de 5 minutes sur du 30/100^e ; et je n'avais que 15ans, donc peu d'expérience et dans des conditions peu confortables, sur un poste encombré de branches. En fait j'étais perché sur le tronc d'un arbre tombé à l'horizontale et partiellement noyé.

Il est possible que ton appréciation du temps ait été altérée par l'émotion, parce que je ne vois pas un brochet de 5 kilos combattre pus de 10 minutes.

Très beau texte Bastien
N'importe quel pêcheur garde en mémoire son premier"grand combat".
Merci pour ce moment partagé .
En espérant que tu en ait de nombreux autres

Récit bien sympathique d'une pêche en famille.

Pour ce qui est du temps, c'était montre en main, j'avais peur que ma ligne casse (car le fil était vieux), donc j'y allais doucement.
Quand je dis 10min, c'était peut-être 8 ou 9, mais pas moins

Babou00 a écrit:

Pour ce qui est du temps, c'était montre en main, j'avais peur que ma ligne casse (car le fil était vieux), donc j'y allais doucement.
Quand je dis 10min, c'était peut-être 8 ou 9, mais pas moins

Effectivement, avec du fil fragile, trop vieux ou trop fin, ou le deux, et un frein de moulinet très mou, ça peut s'expliquer.

En tout, cas, c'est un beau souvenir que tu as partagé. Encore merci.

Pas de problème !
C'était un plaisir de vous faire part de ma première grosse pêche en lac