Une leçon de pêche
Le vieux habitait une cabane de bois à la sortie du village sur la route de Terrebonne. On l'appelait Firmin, juste Firmin. Je ne lui connaissais pas plus de nom de famille que de famille : pas de femme, aucun enfant ni frère ou sœur. Dans le canton, on le disait fameux pêcheur. Mais il n'en parlait jamais. Pas même au bistrot où il se rendait chaque samedi, arrivant à 18 heures et repartant à 20 heures, avec la précision de l'habitude qui confine au rituel. Il buvait comme il vivait, en solitaire. C'était un taiseux, et on ne connaissait l'importance de ses prises qu'en les imaginant à la vue du renflement de sa musette dont il ne se séparait jamais.
Ce jour-là, je m'étais posté sur la berge de la rivière à l'endroit où elle longe le jardin du père Maréchal. J'y venais quasiment chaque jour depuis trois semaines, mais sans succès, après y avoir repéré une truite de belle taille que j'espérais bien prendre avant la fermeture.
J'ai à peine entendu Firmin arriver. Il était comme ça, silencieux, discret. Il s'est planté derrière moi. Je me suis retourné :
- Bonjour.
- Salut gamin.
Tout était dit.
De longues minutes passèrent avant que je relève ma ligne pour vérifier l'état de mon ver.
- Tu l'auras pas au ver celle-là !
Je fus surpris par un tel bavardage, et par le fait qu'il avait lui aussi repéré ma truite.
- Demain j'essaierai au vairon.
- Pareil !
- ...
Pas au ver, pas au vairon. Qu'en savait-il ?
Firmin s'est mis à arpenter la bordure du jardin avant de venir jeter à mes pieds une poignée de limaces grises. Des bien gluantes et bien dodues.
- Essaie avec ça !
J'ai essayé... Sans conviction, mais j'ai essayé.
Moins d'un quart d'heure plus tard, j'ai senti la vibration du fil sur mon index, puis j'ai ferré.
Firmin m'a guidé de la voix pour sortir le monstre dévoreur de limaces. Je ne l'avais jamais vu aussi volubile ; et je m'étonnais d'un succès aussi rapide après des jours et des jours infructueux.
- Comment vous avez su ?
- Le père Maréchal... Je l'ai vu faire avec ses limaces... Il les fout à l'eau.
La truite habituée à gober les limaces du jardin ne se nourrissait plus que de cette manne régulière.
Firmin, le taiseux, l'ermite, venait de me donner en quelques mots ma plus belle leçon de pêche.
Le 6 avril 2011